lundi 31 août 2015

« Ouestafs », « Zaïrois » et « petits Maures », les migrants qui fournissent l’énergie, où qu’ils aillent.

Dans son édition du 30 août, en vente en kiosques, Jeune Afrique pose une question taboue, que certains d'entre vous jugeront sans doute provocante : les Gabonais sont-ils racistes ? La réponse est, on le verra, à la fois nuancée et inquiétante.
S’il n’a jamais été particulièrement commode d’être un étranger africain au Gabon, l’identité de ceux qui jouent avec l’étincelle de la xénophobie a changé de camp. À l’époque du « Gabon d’abord » de Bongo père, c’était le pouvoir. Aujourd’hui, c’est toute une partie de l’opposition à son fils qui propage allègrement le poison de la « gabonité », sur fond de recul de l’État providence. Journaux et internet se transforment d’autant plus aisément en vecteurs du virus que rien n’est plus propice à ce type d’infection que les périodes préélectorales.
De l’autre côté de l’Atlantique
De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, un candidat a saisi tout l’intérêt qu’il y avait à franchir le mur du son de l’intolérance primaire. Le programme du milliardaire démagogue Donald Trump, qui surfe en tête des prétendants républicains à la Maison Blanche, tient en quelques mots que ne renieraient pas les chantres de « la race gabonaise » (sic) : « Ils doivent s’en aller. »
Ils : les immigrés, en particulier les Mexicains, contre lesquels ce populiste compulsif s’engage à ériger un mur frontalier géant, comme celui qui dans le blockbuster Game of Thrones protège la civilisation de la barbarie. L’homme qui jure tout haut « jamais un Noir ne comptera mon argent », préférant réserver cette tâche exaltante aux « petits hommes portant la kippa tous les jours », ignore manifestement tout de l’histoire de son propre pays. Les États-Unis, comme chacun le sait, se sont construits avec les vagues successives d’une immigration qui ne fut pas qu’européenne. Pour leur plus grand profit.
Le mal du siècle
Ce mal-là est un mal du siècle. Il sévit partout au Gabon et en Amérique, en Afrique du Sud et au Congo, en Angola et en Russie, en Israël et au Qatar. Il frappe au cœur d’une Europe confrontée depuis des mois à l’assaut des demandeurs d’asile. Hebdomadaire réputé de l’establishment financier, The Economist a eu cette semaine le courage passablement iconoclaste de prôner ce qu’il estime être la seule solution viable à ce brusque afflux de migrants : « Laissez-les entrer, laissez-les travailler, laissez-les gagner leur vie. »
Dans une Europe endettée, où la population active vieillit et diminue, l’apport de ces êtres jeunes, arabes et africains, sera demain essentiel pour la productivité de l’économie et l’absorption des charges héritées de la génération précédente. Toutes les études le démontrent : les migrants sont en général plus travailleurs, dynamiques et créatifs que les autochtones, ainsi que des contributeurs nets au Trésor public. On ne traverse pas les tempêtes et les déserts au péril de sa vie pour venir se vautrer dans l’assistanat. L’énergie du désespoir qui anime ces damnés de la mer est aussi une énergie fertile et rentable pour la richesse nationale des pays où il leur est permis de s’établir. Le Vieux Monde a besoin de leur vitalité.
Le rejet est toxique
Et l’Afrique ? L’Afrique aussi. Il suffit de parcourir des capitales comme Libreville, Malabo, Brazzaville, Luanda pour s’apercevoir combien la rente pétrolière a eu sur les capacités productrices des nationaux l’effet d’un anesthésiant. Et combien le tissu de l’économie informelle est devenu dépendant des « Ouestafs », des « Zaïrois », des « petits Maures » ou des « Camerunés ».
Ces derniers ne volent pas le gagne-pain des locaux, ils remplissent le vide et les jobs dont ceux-là ne veulent plus ou qu’ils ne sont plus en mesure d’accomplir, parfois jusqu’au sein même de la haute administration. Les ériger en boucs émissaires est, ici comme ailleurs, une recette toxique qui a fait ses preuves, surtout lorsqu’une élection est en vue. Elle est aussi le plus sûr chemin vers la faillite, tant économique que morale.
J.A.

 Source : Jeune Afrique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire