dimanche 25 mars 2012

Alfred Liyolo plaide pour la valorisation de la femme congolaise.



Le célèbre artiste-sculpteur congolais réalise un monument à l’honneur de la femme maraîchère, sur fonds propre. Alfred Liyolo fustige depuis plusieurs années le délaissement des artistes par l’État congolais. L’artiste-sculpteur Alfred Liyolo M’Puanga a érigé, vendredi 9 mars à Kinshasa, le monument de la tête d’une femme pour rendre hommage aux maraichères de la capitale congolaise.
Il a, à cette occasion, loué des dizaines de mamans qui, au retour des champs, descendent la route de Kimwenza avec de bottes de légumes sur la tête. «J’ai pensé à cette tête universelle qui représente la tête de n’importe quelle femme avec sa coiffure qui représente des légumes qu’elle transporte avec sa bouteille d’eau sur la tête pour dire qu’elle est confrontée au problème d’eau mais elle se bat quand même pour nous donner à manger», a expliqué l’artiste. Alfred Liyolo dit n’avoir bénéficié d’aucunfinancement pour l’érection de cette œuvre d’art honorant la femme cultivatrice. «Je n’ai pas reçu quelque chose de qui que ce soit bien que ce monument de presque huit mètre de hauteur m’a couté très cher », a conclu Alfred Liyolo.

«Être artiste, c’est avoir de la volonté, de la droiture. Beaucoup n’arrivent pas, non seulement à joindre les deux bouts du mois, mais à accomplir autant d’années de vie artistique. Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens », déclarait l’artiste en 2007, à l’occasion d’une exposition à l’Hôtel Memling à Kinshasa marquant ses 45 ans de carrière artistique. Il avait ce jour-là présenté près d’une quinzaine d’œuvres sculpturales, dont L’envol (laiton patiné), La musicienne (bronze patiné), L’attente (laiton patiné), Le mirage du fleuve (bronze patiné), La passiflora (laiton patiné), Le flamant (bronze patiné), La parente (deux pièces laiton patiné), La détente (collection privée), Les abstinences (laiton patiné), La maternité (bronze patiné), Le taureau (bronze patiné).

En marge de sa participation en 2010 à la deuxième édition du Salon international de l’artisanat du Cameroun à Yaoundé, ce monument de la sculpture en Afrique a évoqué la richesse artisanale de l’Afrique : « …l’Afrique n’est pas pauvre de ce côté-là. On parle seulement d’elle par rapport aux matières premières, l’or, le diamant, etc. Mais souvenez-vous de l’époque de nos grands-parents, c’était d’abord la statuette. Les autres essaient de nous distraire en disant que c’est de l’art, ceci ou cela. Mais non ! L’artisanat a contribué à nos économies, à vendre les couleurs nationales de chacun de nos États. Je crois que ce que le ministre (camerounais des PME, de l’Economie sociale et de l’Artisanat) essaie de faire, c’est une bonne occasion pour que chacun prenne conscience. L’artisanat occupe une place active dans l’économie de nos pays. Je peux prendre un exemple comme celui de l’Italie. Mais, c’est l’artisanat qui fait connaître ce pays-là à travers le monde. Donc, nous ici en Afrique centrale, le Cameroun, le Congo, la RDC et les autres, si on prenait une résolution de travailler ensemble, je crois que les choses évolueraient de façon plus remarquable ».

L’on retient aussi ce coup de gueule : « Il y a certaines autorités qui sont, à mon avis, des gens qui ne comprennent pas la chose, qui sont en quelque sorte des analphabètes culturels et ils laissent comme ça les artisans abandonnés à eux-mêmes, il n’y a aucune protection. Je prendrais le cas d’un quartier chez nous, qu’on appelle Météo, où vous trouverez autant de menuisiers et tous ceux qui font des travaux manuels, mais ils sont à l’air libre, ils réalisent du mobilier très bien fait. Mais quand il pleut, tout est dans l’eau. On ne pense même pas à leur créer un hangar. Déjà, ça gêne. Parmi ces gens-là, il y en a qui font du bon travail. Quand vous sillonnez l’Afrique de l’Ouest, les pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, vous y rencontrez beaucoup d’artisans congolais. Personnellement, je ne bénéficie de rien de mon pays. Mais c’est ailleurs qu’on parle de moi. Je prends un exemple, j’étais en Chine, et j’ai réalisé une grande œuvre de plus de 6 mètres, qui trône dans un des plus grands parcs de sculpture du monde, où le drapeau congolais est présent toute l’année. Je rentre au pays, je fais le rapport à qui de droit, même pas une petite lettre de félicitations. C’est un exemple banal, mais c’est comme ça. On ne reconnaît pas les gens qui cristallisent la culture de leur pays, qui vendent la culture de leur pays à l’extérieur. Tout ce qu’on connaît chez nous, c’est le football. Quand une équipe congolaise va jouer quelque part, on débloque tous les moyens. Tandis que les gens comme moi, quand ils participent à un grand symposium international, rares sont les fois où le gouvernement débloque des moyens pour leur venir en aide ».

Liyolo Limbe a enfin brièvement parlé de ses débuts dans les arts plastiques : « Ma carrière a commencé d’abord au niveau familial, parce que mon père était tailleur d’ivoire. Toute ma famille, mes aînés, mes cousins, a fait le même boulot. Puis après moi je suis allé faire mes études d’abord à Brazzaville et ensuite à l’Ecole des beaux-arts de Kinshasa. De là, comme c’était la période des indépendances, j’ai tout fait pour être boursier. Je suis allé en Autriche, c’est là que j’ai appris toutes les techniques évidemment modernes. J’étais parmi les meilleurs étudiants de ma promotion. J’ai obtenu le plus grand prix de l’Académie des beaux- arts de Vienne. En passant, c’est là où Hitler voulait faire sa carrière, puisque qu’il était peintre. Mais comme on ne l’avait pas admis, il avait quitté pour aller en Allemagne et entrer en politique. Mon professeur voulait me garder comme son assistant. Mais en 1976, j’ai eu la chance de croiser le président Mobutu en Allemagne, il était en voyage. Comme vous le savez, quand le président voyage, tous les étudiants viennent autour de lui pour présenter les problèmes. C’est là qu’il m’a découvert. Tout le monde était étudiant en médecine, ingénieur agronome, etc. Et moi le seul étudiant en art, il était tellement intéressé, il m’a dit : si vous terminez vos études, vous rentrez au pays, le pays a besoin de tout le monde. C’est ça qui m’avait encouragé, j’ai abandonné mon poste d’assistant pour regagner le pays. J’ai été engagé comme professeur, avant de devenir plus tard directeur des études et pour terminer directeur général de l’Académie des beaux-arts. Ma fierté est que j’ai pu former beaucoup de jeunes gens, pas seulement des Congolais, mais aussi des Gabonais, des Brazzavillois, des Tchadiens, voire des Camerounais, des Israéliens, etc. »

Né en 1943, Liyolo est Magister Artium de l’Académie de Beaux-art de Vienne en Autriche. Ses réalisations ont émerveillé les amoureux de l’art à travers le monde. Exilé pendant longtemps après la mise à sac de sa maison lors des pillages de triste mémoire en 1991, il rentre au pays en 2004. L’artiste est également professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa.

Martin Enyimo 
Source:Le Potentiel du 24.03.2012.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire